
BCE: Réactions à l’annonce du Président Draghi sur l’euro
Madame, Monsieur,
Le rideau s’ouvre sur l’année 2015 dans un climat mêlant risques terroristes, risques géopolitiques et surtout transformations macroéconomiques majeures pour la zone euro dont je voudrais vous entretenir.
Je vous remercie donc de votre présence à l’occasion de cette conférence de presse en réaction à l’importante réunion de politique monétaire de la Banque Centrale Européenne de ce jour, dans laquelle le Président Mario Draghi a annoncé un évènement inédit et d’une portée politique considérable pour l’avenir de l’euro, je veux parler de l’opération de “Quantitative Easing”(QE).
Pour mémoire, ce jargon financier est synonyme de programme de rachat massif de titres financiers et de dette publique d’Etats au sein de la zone euro.
Cela correspond plus simplement à de la création monétaire ex nihilo par la BCE censée stimuler l’économie par de l’injection de liquidités banque centrale.
C’est l’appellation contemporaine de la planche à billet, à ceci près qu’elle n’est pas directement productive pour l’économie réelle.
Le QE est supposé être l’ultime recours pour relancer la croissance économique dans la zone euro et inverser l’inquiétante série de statistiques négatives sur l’emploi, l’investissement et surtout l’inflation.
Mon but n’est pas ici de faire un commentaire exhaustif des éléments techniques engagés par la BCE, que M Draghi n’a du reste pas totalement dévoilés, mais de mettre en perspective d’un point de vue politique les conséquences concrètes de cette intervention non conventionnelle de politique monétaire, pour l’intérêt économique de la France.
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Il faut d’abord noter que ce QE souverain est l’ultime cartouche d’un arsenal de mesures similaires.
Ces dernières années, la BCE a progressivement abaissé ses taux directeurs, à des niveaux historiquement bas. Sans atteindre son but: relancer l’économie par le crédit bancaire.
Elle a donc lancé en parallèle plusieurs instruments de politique monétaire non conventionnels, comme les SMP et OMT, les rachats d’actifs titrisés, ou ABS, les ‘covered bonds’, les prêts à long terme à taux préférentiel aux banques, le tout pour des montants colossaux: respectivement 1 000 milliards d’€ en 2012 remboursés puis à nouveau 1 000 milliards d’€ annoncés en 2014 pour les seuls LTRO et TLTRO. L’objectif non avoué de la BCE étant de calmer la crise interbancaire liée au risque des dettes souveraines depuis 2008.
Le QE qu’on nous annonce aujourd’hui est l’aboutissement de cet ensemble de mesures dont le but est toujours le même: tenter de relancer une croissance économique qui se meurt et éviter l’éclatement de la zone euro par la crise des dettes souveraines.
Pour justifier ces mesures, Monsieur Draghi nous a vendu l’idée que les anticipations d’inflation, par rapport à la cible de 2%, seraient inquiétantes, avec un risque de cercle déflationniste, c’est à dire d’une baisse générale des prix dans la zone euro, c’est à dire à terme des salaires et de la croissance.
Les ménages ont-ils constaté une baisse du prix de leur caddie de supermarché ?
Assurément, non. Et il a fallu que le prix du baril de pétrole soit divisé par plus de 2,5 depuis 6 mois, pour avoir juste une diminution de quelques centimes à la pompe.
En réalité, Monsieur Draghi tente de nous faire passer un risque d’entrée en récession économique structurelle pour un phénomène seulement monétaire, la déflation, afin de nous vendre la nécessité de la BCE de recourir à un QE de grande ampleur.
Concernant les éléments du programme annoncé cet après-midi par Mario Draghi, je relève quelques points importants:
– Premièrement, le montant du QE, en l’occurrence 60 milliards d’€ par mois soit 1100 milliards d’€ jusqu’en septembre 2016, sera réparti au prorata du capital des Etats dans la BCE, soit environ 200 milliards pour la France
– Ensuite, il portera à la fois sur des dettes publiques et privées
– Enfin, le risque sera très peu mutualisé. 80% en sera porté par les banques centrales nationales, 20% par la BCE. Autrement dit, seuls 20% des titres achetés seront susceptibles de générer des pertes assumées collectivement par les Etats de l’eurozone.
En définitive, c’est une double victoire pour l’Allemagne. Avec le critère de la répartition via la quote-part au capital de la BCE, celle-ci a clairement choisi de favoriser uniquement les premiers de la classe de la zone euro au lieu de sauver les états-membres en difficulté comme les grecs.
Concrètement, l’Allemagne avec sa Bundesbank bénéficiera de 25 % de l’enveloppe de QE soit environ 270 Mds €, alors que c’est le pays qui en aurait le moins besoin. Symboliquement, Angela Merkel a du reste annoncé en même temps que Mario Draghi les mesures de la BCE depuis Davos!
Dans l’attente des modalités de mise en œuvre concrètes, je rappelle que se pose la question de légalité vis à vis de l’article 123 du traité de Lisbonne, qui interdit à la BCE d’acheter directement auprès des Etats membres les instruments de leur dette.
La semaine dernière, l’avocat général de la Cour de Justice de l’Union Européenne a validé la technique des OMT, lancées par la BCE en septembre 2012, utilisant un mécanisme similaire.
Mais avec une limite: l’assouplissement quantitatif n’est acceptable que s’il s’agit d’un instrument exceptionnel permettant à la BCE d’atteindre son objectif cible d’inflation de 2 % ou de sauver l’euro, mais pas pour faire tourner la planche à billet et financer en permanence les déficits des Etats.
Mario Draghi lui, retient son interprétation personnelle pour contourner l’obstacle juridique, dans l’attente d’un jugement favorable de la CJUE. Il avait déjà procédé de cette façon en 2013, pour dépouiller l’Autorité Bancaire Européenne de la mission de supervision bancaire dans la zone euro, alors qu’elle n’était pas prévue dans les statuts de la BCE.
Le QE a déjà été expérimentée à l’étranger, notamment aux Etats-Unis ou en Grande Bretagne, mais sans la contrainte de l’article 123, puisque ces deux grandes puissances économiques mondiales possèdent leur monnaie nationale et leur banque centrale, libre de monétiser leur dette, sans véritable limite.
Au prix d’un accroissement colossal de son bilan, la Réserve fédérale américaine a réussi à relancer l’économie américaine après la crise de 2008. Qu’en sera-t-il du bilan de la BCE, si elle met réellement en œuvre son QE jusqu’aux 1 100 milliards d’€ annoncés? Faudra t’il augmenter son capital ? Quelle sera alors la contribution de la France ?
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Dans l’attente de réponses, examinons maintenant la portée et la signification de cette opération de QE, afin de voir quels enseignements utiles en tirer.
Si le QE fonctionne, il tendra à faire progresser les marchés financiers et baisser l’euro. Mais le véritable objectif, la relance de la demande intérieure, donc de l’activité, de la croissance économique et de l’inflation, repose sur l’affectation à l’économie réelle des liquidités.
Or cela, rien n’est moins sur. L’afflux de liquidités profite souvent aux marchés financiers et favorise les bulles.
En l’espèce, il est à craindre que ce QE incite les banquiers à accentuer leur activité de marché et la spéculation sur des actifs à haut risque avec la titrisation, les CDS ou autres instruments à l’origine de la crise des “subprimes”, plutot que de prêter aux entreprises et aux ménages.
Notons que ces produits sont d’autant plus rentables que c’est la BCE qui supporterait in fine le risque. C’est le principe de la privatisation des profits et la mutualisation des pertes !
S’agissant des changes, les marchés ont intégré cette opération de QE dans les prix progressivement depuis juin 2014. De fait, l’euro a perdu plus de 18% par rapport au dollar.
Cette dépréciation est de prime abord une bonne nouvelle pour notre compétitivité, mais très insuffisante pour redresser notre économie réelle et nos emplois car le crédit ne repart toujours pas.
L’euro surévalué est un obstacle à nos exportations, car les produits ou services que nous vendons hors zone euro sont comparativement trop chers. Notre balance commerciale en est la preuve, extrêmement déficitaire depuis 12 ans et avec 70 Mds €/an en moyenne depuis 3 ans, et encore 55 attendus en 2014 malgré la baisse du brut.
Lorsque le taux de change baisse, cela nous rend relativement plus compétitifs sur les prix. Nos entreprises peuvent vendre plus, augmenter leurs marges et donc en théorie embaucher et augmenter les salaires. C’est notamment le cas pour le luxe, l’aéronautique, la chimie ou encore l’automobile.
Il faut bien avoir conscience que la baisse de l’euro de 18 % représente aujourd’hui un gain de compétitivité égal à 4 fois celui attendu par le pacte de responsabilité de la France (estimé à 4%) et sans dévalorisation des salaires Français.
Cela démontre que la dévaluation compétitive d’une devise est l’arme suprême du protectionnisme intelligent, d’ailleurs largement utilisée par les grandes puissances économiques mondiales (Etats Unis, Chine, Japon, Royaume-Uni…).
Mais il reste du chemin à parcourir, que nous estimons au Front National à environ 5 à 10% supplémentaires, pour vraiment relancer notre économie nationale.
Plus encore, ce gain de compétitivité-prix ne joue que vis à vis des pays hors zone euro.
Or, la France réalise 50% de son commerce extérieur précisément avec le reste de la zone euro. Hormis la Chine, nos principaux concurrents et partenaires sont l’Allemagne (17% de nos échanges à elle seule), la Belgique, les Pays-Bas puis Italie.
Ce qui signifie que la baisse de l’euro est sans incidence pour tous les échanges que la France a avec les pays qui ont la même monnaie. Seule la sortie de l’euro permettrait de faire jouer à plein l’effet d’une dévaluation.
Pour l’Allemagne, un euro plus faible est un problème car tout leur modèle économique est fondé sur un euromark fort pour permettre à leur régime de retraite et fonds de pension d’acheter à bon marché de la dette publique turque, chinoise ou indienne dont les intérêts financent à bon compte leurs retraités par le différentiel de taux de change.
Ce point est très important à comprendre car, au bout de un an de QE, les premiers déficits risquent d’apparaitre et au bout de deux ans les allemands pourraient demander eux-mêmes à sortir de l’euro.
Sur le plan purement économique et politique, force est de remarquer que le lancement de ce programme de QE marque avant tout l’échec de l’union économique et monétaire, des politiques économiques ultralibérales de l’Union, et de l’euro qui ont été incapables de générer de l’emploi et de la prospérité qu’ils étaient censés apporter depuis le traité de Maastricht.
Sur le constat, nous sommes au moins d’accord avec M Draghi pour dire que l’Europe est la zone dans le monde qui peine le plus à se remettre de la crise de 2008:
• Le PIB de la zone euro pour 2013 affichait, pour la deuxième année consécutive, une croissance négative. En 2014, il se contenterait d’une croissance de 0,8%.
• Le chômage s’affiche à 11.3 % fin 2012 puis 11.9 % fin 2013, et restera à un niveau comparable voire supérieur en 2014.
• Le chômage de longue durée et des jeunes reste extrêmement préoccupant, avec notamment des pointes à 25 voire près de 40% en Espagne ou en Grèce.
La croissance atone et le chômage de masse, c’est le constat que nos commissions au Parlement européen font chaque semaine. C’est aussi le constat lancinant et impuissant des responsables politiques français de l’UMPS, alors que l’économie américaine, par exemple, a elle renoué avec la création d’emploi et un rythme de croissance du PIB proche de 5% fin 2014, l’économie anglaise de près de 3%.
La propagande des partis du système nous abonde pourtant continuellement avec la même fable: plus on aura d’Europe fédérale, plus nous serons forts et plus nous aurons de prospérité!
La réalité est exactement inverse…
De surcroît, la zone euro est soumise à une situation de stress avec deux nouvelles épreuves au cours de ce mois de janvier:
– le désarrimage soudain la semaine dernière de l’euro par le Franc Suisse, décidé par la Banque Nationale Suisse,
– et les élections législatives en Grèce dimanche prochain qui devrait voir le parti de gauche “Syriza” l’emporter
Ce sont de nouvelles preuves que la crédibilité de la monnaie unique est largement entamée auprès des acteurs de marché et qu’il ne faut pas exclure une explosion de la zone euro, compte tenu de la divergence structurelle entre les nations des taux de croissance économique, des taux d’emprunt nominaux, de taux de chômage et de taux de d’inflation.
Quel rapport aujourd’hui entre l’Allemagne, dont le budget est à l’équilibre, la balance commerciale très excédentaire et des pays comme l’Italie ou la France ?
Quel rapport entre le Luxembourg et ses 25% d’endettement public et la Grèce et ses 175%?
Le processus du “Semestre européen”, qui est censé organiser la convergence des économies est un échec: 9% des recommandations seulement sont mises en œuvre et 45% ne reçoivent aucun début d’exécution par les états membres.
Cette opération de QE est donc un aveu d’échec total de l’union monétaire qui n’a d’ailleurs jamais été une Zone Monétaire Optimale, depuis l’origine. Si c’était le cas, les Allemands, par solidarité européenne, auraient effectué des transferts financiers de leurs excédents commerciaux vers les pays déficitaires. Il n’en est rien !
Outre les indicateurs macroéconomiques, la meilleure preuve de l’hétérogénéité de l’union monétaire est la mise en place dans chaque Etat de la zone de politiques monétaires multiples depuis 2011 via des injections de liquidités financières permanentes (du type ELA, LTRO, TLTRO, etc..) par les banques centrales nationales et non par la BCE.
Cette transformation fondamentale de la zone euro, non prévue par le traité de Lisbonne, constitue de facto un abandon de toute politique monétaire unique de la BCE par la remise en cause des principes dits de Tinbergen, notamment le fait qu’il ne saurait y avoir d’utilisation de la politique monétaire pour un objectif autre que la stabilité des prix.
De plus, n’oublions pas que Chypre est techniquement déjà en dehors de la zone Euro (au sens du prix Nobel d’économie Robert Mundell) à partir du moment où elle a été obligée de mettre en place un contrôle des changes et des capitaux depuis la crise bancaire d’avril 2013.
Toutes ces raisons valident encore une fois, sur ce sujet économique comme dans tant d’autres, que le Front National avait raison sur le diagnostic.
Le constat est donc clair: les conditions d’une monnaie unique ne sont pas réunies.
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Quelles solutions alternatives peut-on dès lors envisager?
Face à ces échecs et au cout de toutes ces mesures inefficaces, il faut donc changer non pas d’outil mais de modèle économique et refaire confiance aux Nations.
La France doit disposer, comme toutes les autres grandes puissances, de sa monnaie, de sa banque centrale, de ses frontières, de sa souveraineté budgétaire, bancaire et législative. Elle doit donc sortir de la léthargie dans laquelle la plonge l’Union européenne, prendre ses distances avec elle, et rénogocier les conditions de sa participation.
Depuis 1973, l’Etat français se finance auprès des marchés financiers et, pour cela, il doit s’acquitter d’intérêts sur sa dette qui s’est élevé en 2014 à 45 milliards d’euros environ.
Plus encore, si l’on fait le cumul des intérêts financiers que la France a versé depuis 40 ans à ses créanciers privés, depuis qu’elle ne se finance plus auprès de la Banque de France, cela représenterait près de 1600 milliards d’euros, soit environ 80 % du stock de le la dette publique actuelle.
Quelque part, cette opération de QE décentralisée dans les banques centrales nationales est l’étape ultime des plans de dégradation de l’euro, avant notre plan de passage aux nouvelles monnaies nationales, pour être enfin maître de notre destin.
Par conséquent, puisqu’il n’y a plus de monnaie unique alors je propose à Monsieur Hollande de gagner du temps et de la souffrance sociale, en négociant l’application d’un plan B: le passage au nouveau Franc Français en parité (1 FF = 1 Ecu ou 1€) avec l’euro monnaie commune, qui garderait un cours légal dans la zone monétaire européenne pour les échanges internationaux;
Le passage au nouveau franc français fermerait la parenthèse de l’euro et nous redonnerait deux avantages déterminants:
• La capacité d’autofinancement directe, sans passer par les marchés financiers, pour les besoins de l’Etat et des administrations publiques
• Et une certaine maîtrise sur le niveau de change de notre devise par rapport à nos partenaires commerciaux, afin de redonner à nos entreprises la compétitivité-prix dont un euro cher les prive.
Le financement de l’Etat directement auprès de la Banque de France rétablirait le mécanisme qui a permis la reconstruction et l’expansion économique des Trente Glorieuses.
Cette politique monétaire et de changes patriote permettra à la France de mettre fin à la spirale infernale de l’austérité par le retour naturel de sa compétitivité.
La monétisation raisonnable de la dette à l’échelon national permettra ainsi de faire ce qui n’a plus été réalisé depuis 40 ans: financer l’économie productive nationale, la transition énergétique, entamer la réindustrialisation et également désendetter l’Etat en douceur.
Cette reconquête de notre souveraineté monétaire devra se faire de pair avec une rationalisation de nos mauvaises dépenses publiques, afin de mettre fin aux déficits sans fin qui creusent notre dette et redonner à l’Etat des marges de manoeuvre pour ses véritables priorités.
Priorité nationale pour certaines politiques sociales, simplification de l’organisation administrative de l’Etat et des collectivités, chasse aux doublons, aux dépenses clientélistes, à la fraude sociale, à la fraude fiscale etc. Le chantier est vaste.
Elle doit enfin se coupler avec un effort particulier dans la redistribution des richesses. Non par une fiscalité confiscatoire, mais par une répartition légitime des fruits de la croissance en faveur des salaires, des classes moyennes et modestes, et non plus au profit exclusif du capital et d’une hyperclasse sans cesse plus riche.
Vous connaissez les solutions de mon modèle de “patriotisme économique” et j’en profite pour vous rappeler mes deux objectifs politiques: le plein emploi et la prospérité nationale pour les Français. C’est possible !
Je vous remercie. Mon collègue Bernard Monot et moi-même sommes disponibles pour répondre à vos questions.